L'hôpital public et la médecine de ville vivent une crise sans précédent. L’exemple des soins infirmiers en Haute-Savoie en témoigne. Sébastien POMMARET directeur de la Mutuelle de France Unie et de l'UMFMB dresse ce constat alarmant.
Les difficultés de l’hôpital sont relayées par les médias, faisant écho aux prises de parole des ministres de la Santé successifs. Le manque de médecins sur nos territoires marque aussi la faiblesse du tissu de la médecine de ville, faiblesse qui contribue à l’engorgement des services d’urgences. Aujourd’hui, et en dehors mêmes des crises sanitaires que nous avons vécues, la difficulté d’accès aux soins est une réalité auxquelles les adhérents mutualistes et la population en général sont confrontés.
Les soins infirmiers haut-savoyards affectés
Cette situation affecte également les soins infirmiers, et l’exemple de la Haute-Savoie est particulièrement éclairant. Moins d’infirmières et moins d’aides-soignantes pour prodiguer les soins à domicile, ce sont autant de difficultés pour les hôpitaux et les établissements de soins de suite et de réadaptation (SSR) pour permettre aux patients de rentrer chez eux et de poursuivre leurs traitements en libérant les lits de ces établissements. Il y a une vraie complémentarité entre la prise charge en soins à domicile et celle dans les établissements.
Une raréfaction des infirmières et aides-soignantes à domicile
La Haute-Savoie est un territoire naturellement attractif et qui n’a traditionnellement pas souffert de la rareté de professionnels de santé. Or aujourd’hui, particulièrement du fait des salaires attractifs proposés en Suisse, mais aussi parce que les mécanismes de revalorisation de salaires et les dispositifs de financements exceptionnels sont exclusivement fléchés vers l’hôpital et les EHPAD, nous observons une raréfaction grandissante du nombre d’infirmières et d’aides-soignantes au service du domicile sur notre territoire.
Une nécessaire revalorisation
Il faut vigoureusement dénoncer la manière dont les pouvoirs publics, aujourd’hui, prennent en considération ces professionnels. D’une part, aucun acte de soin infirmier n’a été revalorisé ces dix dernières années, et ce sont de nouvelles obligations qui pèsent sur cette profession. Depuis le 1er avril de cette année, et ce malgré un litre de gasoil à près de 2 €, les infirmières ne peuvent plus prétendre à leur prise en charge par la CPAM depuis leur cabinet jusqu’au domicile des patients, et subissent des restrictions impropres à poursuivre la prise en soins.
En tant que gestionnaire d’un centre de soins infirmiers, ayant connu 6 démissions en 7 mois, j’ai dû me résoudre à écrire à nos patients les plus éloignés pour les informer que nous ne pouvions plus poursuivre leur prise en charge. Pour le reste, les patients résidents dans notre ville ne peuvent pas tous prétendre recevoir de leur centre de proximité la réponse dont ils bénéficiaient jusqu’alors faute de personnel.
De même en ce qui concerne les prises en soins par les aides-soignantes par les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) ; les coûts du logement, les horaires coupés et la faiblesse des rémunérations accordées par l’agence régionale de santé (qui n’autorise pas le financement des rares mesures exceptionnelles de soutien des salaires décidées par le gouvernement) pousse cette profession à renoncer à ce métier passionnant autant qu’indispensable.
Quel futur voulons-nous ?
Or nous souhaitons tous, si nous devenions dépendants au crépuscule de notre vie, rester chez nous, dans notre univers, et bénéficier de l’aide à domicile, des soins d’une aide-soignante et d’une infirmière plutôt que de devoir déménager définitivement pour un établissement médicalisé. Et pas que pour des raisons de coûts (car ces établissements sont parfois excessivement chers), mais parce que nos vies sont nouées à un lieu, à un voisinage, à des activités et à notre famille qui reste proche. Cela repose sur la possibilité de compter sur ces professionnels dévoués et compétents qui viennent à domicile porter les soins nécessaires. Avec le vieillissement de la population, que nous mesurons déjà et qui va s’accentuer, ces professionnels sont au coeur du projet de notre société et sont pourtant délaissés par les pouvoirs publics. Les médias n’en font pas écho non plus, le domicile est absent des grands titres de la presse.
Pourtant, le défi du grand âge et de l’autonomie va se rappeler à nous de plus en plus fortement, au fur et à mesure que nos proches seront touchés par l’impossibilité d’une réponse de qualité à leur domicile. Cette réponse ne saurait être apportée autrement que par du personnel compétent au domicile. Alors veillons sur eux et donnons-leur les moyens d’être formés, et de gagner leur vie dignement car ils veilleront sur nous demain, et chacun de nous mérite une prise en soins de qualité.
Un sujet qui nous concerne tous, qui est on ne peut plus d'actualité, et a fait l'objet d'un article du Dauphiné Libéré du 21/09/2022. Retrouvez l'interview de Sébastien POMMARET par Jean Neury ici >> https://bit.ly/3xJcG5d