Nous vivons, dès notre naissance, avec des micro-organismes (nom scientifique des “microbes”) présents en grande quantité dans notre corps : notre intestin, par exemple, héberge autant de bactéries que notre corps compte de cellules ! Le bon fonctionnement de ces mondes invisibles est essentiel pour notre capital santé. Certaines communautés de microbes, autrement dit certains microbiotes, font même désormais partie de l’arsenal thérapeutique contre certaines maladies. Pourquoi les micro-organismes sont-ils indispensables ? Comment en prendre soin ?
On ne fait plus prendre tout de suite le bain aux nouveau-nés dans les maternités. Pourquoi ? Pour qu’ils bénéficient autant que possible du microbiote vaginal de leur maman dont ils se retrouvent enduits en passant par voie basse. On n’oublie pas de prendre de la levure de bière quand on prend des antibiotiques. Pourquoi ? Pour préserver le microbiote intestinal. Car nous avons désormais une meilleure connaissance de ces bactéries, levures et virus que nous hébergeons sur et en nous, et sans lesquels nous ne pourrions pas vivre ou en tout cas pas bien.
Ils forment des mondes microscopiques et bien distincts selon leur lieu de villégiature : peau, oreilles, bouche, nez, poumons, vagin, sang, muscles, cerveau, intestin…
Notre corps, hôte d’une foule invisible
Il existe six microbiotes : cutané, vaginal, urinaire, respiratoire, ORL et intestinal. Mais le microbiote intestinal reste le mieux connu à ce jour, avec plus de 4 000 espèces recensées au total. C’est aussi le plus diversifié de l’organisme puisque chaque être humain y loge, nourrit et chauffe environ 500 types de bactéries et virus. « 90 % des bactéries que compte notre organisme sont dans notre tube digestif car c’est là qu’elles trouvent le plus à manger », explique Sébastien Duperron, chercheur en écotoxicologie microbienne et professeur au MNHN. Il y a entre 10 et 100 milliards de cellules microbiennes par gramme de selles.
Nous sommes les hôtes de cette foule invisible, microscopique et colossale, une foule qui nous rend des services immenses, voire vitaux.
Des bénéfices mutuels
Virus, champignons, archées, protistes et bactéries se nourrissent dans l’intestin de nutriments que nous ne pouvons pas assimiler. Le microbiote cutané, lui, se nourrit de sébum et de nos peaux mortes, certes, mais il nous en débarrasse en même temps.
Certaines bactéries vivent au sein même de nos cellules, dont elles sont devenues des composants. Appelées mitochondries, elles assurent la respiration cellulaire et leur sont donc indispensables. D’autres repoussent les pathogènes, à l’instar du microbiote vaginal en créant une acidité locale. Les micro-organismes du microbiote sont donc symbiotiques : nous leur fournissons les conditions nécessaires à leur survie et, en échange, ils participent au bon fonctionnement de notre corps : digestion, croissance, immunité, cicatrisation, synthèse des vitamines.
Nous ne sommes pas tous également colonisés
Cette armée bien utile nous est léguée en partie dans le liquide amniotique et à l’accouchement, puis dans les premières années de vie au gré des objets portés à la bouche, des aliments (dont le lait maternel), de l’entourage et des migrations des microbes. Chaque individu finit par avoir une fois adulte une composition de microbiote unique. Même de vrais jumeaux élevés dans le même foyer ont un microbiote qui leur est propre. Nous ne sommes pas tous également colonisés.
De plus, certains événements viennent perturber la constitution des microbiotes, comme la césarienne qui prive en partie le bébé du microbiote maternel, la prise d’antibiotiques, le stress, l’exposition aux polluants.
Les modes de vie des populations occidentales appauvrissent aussi ce bouillon de culture. L’agriculture intensive a réduit la diversité de ce que nous mangeons. L’industrialisation de l’alimentation a aseptisé la nourriture : les procédés tels que la stérilisation – pensons au fromage, par exemple – nous privent d’une multitude de bactéries. L’hygiénisme a aussi fait le ménage dans les maisons, dans l’air, sur la peau. Enfin, les polluants comme le glyphosate attaquent aussi nos micro-organismes. Autant de facteurs qui favorisent les maladies contemporaines comme le diabète, l’obésité, l’arthrite, la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, les cancers et la dépression. Chez ces malades, un point commun : un microbiote moins diversifié que celui d’une personne bien portante.
Un nouveau regard sur la maladie…
« Le microbiote assure notamment une fonction barrière, car les bactéries dites “commensales”, qui font partie de notre organisme, empêchent l’installation de pathogènes, explique la bactériologue Geneviève Héry-Arnaud. Il stimule également notre système immunitaire. » Pour la biologiste, l’étude de ces micro-organismes apporte des clés de compréhension, de prévention et de traitements des maladies. Par exemple, une maladie peut être analysée à travers le déséquilibre du microbiote – la dysbiose – et la recherche de ses facteurs. Ainsi les crises d’asthme peuvent être favorisées par une dysbiose pulmonaire, elle-même déclenchée par la pollution atmosphérique. Les maladies inflammatoires de l’intestin sont liées à un défaut de communication entre la flore intestinale et le système immunitaire, dont les chercheurs cherchent la cause, en vue d’un traitement via le microbiote.
... et sur les traitements
Car on peut “greffer” du microbiote pour stabiliser l’évolution de certaines maladies. En France, le transfert de microbiote fécal (qui est prélevé chez des donneurs qui ne sont pas porteurs de virus ou de bactéries pathogènes) se pratique dans quelques cas seulement, comme l’infection par la bactérie Clostridium difficile ou encore en dernier recours dans le cas de la leucémie.
Mais la transplantation pourrait être indiquée dans le traitement des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, dont la maladie de Crohn, les maladies métaboliques, certains cancers, la maladie de Parkinson. Pour cette dernière, des essais menés en Belgique sur des patients atteints au stade précoce sont prometteurs : les scientifiques indiquent dans la prestigieuse revue The Lancet qu’ils ont observé une amélioration des symptômes moteurs dès la première année suivant la transplantation.
Toutefois ces transplantations sont complexes puisque chaque microbiote est unique.
Vers la “nutrition clinique” ?
D’autres recherches s’orientent vers des traitements comme les prébiotiques et les probiotiques. Sous forme de gélules, ils stimulent le microbiote et amélioreraient ainsi l’efficacité des traitements, par exemple : les chimiothérapies ou les immunothérapies. La recherche s’oriente aussi vers les tests : l’analyse du microbiote sera sans doute un jour aussi courante que l’analyse sanguine. Pour l’heure, ce sont les microbiotes encapsulés qui intéressent le plus les laboratoires car ils peuvent être produits à grande échelle.
Ils représentent une manne à venir pour l’industrie pharmaceutique, qui promet monts et merveilles et investit tous azimuts. Nestlé a annoncé en juin dernier avoir acheté les droits d’un médicament issu du microbiote fécal. Dans un communiqué, sa filiale de “nutrition clinique” Nestlé Health Science justifie sa décision par le succès rencontré par ces capsules depuis leur lancement l’an dernier aux États-Unis, où elles ont été autorisées. Au pays du hamburger, on peut craindre que ce soit une bonne excuse pour poursuivre la malbouffe.
Au pays du camembert cru, on peut espérer que cela nous pousse à préserver ces bouillons de culture.
L’impact de l’alimentation
Aliments ultra-transformés, édulcorants, conservateurs lèsent notre microbiote. Ils n’apportent que des calories vides qui nous font grossir sans apporter de nutriments mais, en plus, ils détériorent la flore intestinale. Pour rester en bonne santé, exit donc une mauvaise alimentation trop riche en gras et en sucre et pauvre en fibres qui favorise la croissance de certaines bactéries pathogènes au détriment des autres, bénéfiques. Ces déséquilibres ont un impact sur l’ensemble de nos fonctions physiques comme cognitives. La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible de rétablir un microbiote qui a été altéré. Ces petits mondes bactériens sont résilients. Le microbiote intestinal se reconstitue à l’identique en 2 mois s’il a été modifié par une prise d’antibiotiques. Pour bien nourrir son microbiote, il faut une alimentation variée, des produits frais et bio, des fromages au lait cru, des kéfirs (nos bactéries raffolent de fermentation), des yaourts, de la choucroute ou du brocoli. À ce régime-là, nos micro-organismes, en pleine forme, produiront quantité de molécules nécessaires notamment pour avoir le moral, comme la sérotonine, l’hormone qui régule l’humeur !
Des écosystèmes qui communiquent
Les écosystèmes de nos six organes hôtes semblent compartimentés, mais des études ont révélé que le déséquilibre d’un organe peut se répercuter sur les autres. Ainsi, une dysbiose intestinale peut entraîner des maladies de peau (dermatite, psoriasis) et des maladies pulmonaires (asthme, bronchite chronique). Une dysbiose buccale peut favoriser les infections pulmonaires. Les différents écosystèmes forment un réseau et communiquent en passant par l’intestin, via les axes intestin-poumons, intestin-cerveau, intestin-peau, intestin-bouche, intestin-foie. Cela laisse imaginer qu’en rétablissant l’équilibre d’un écosystème, on peut agir sur celui d’un organe malade.
De tous nos microbiotes, celui de l’intestin, et plus particulièrement du côlon, est le plus peuplé. C’est aussi celui qui interagit le plus avec le reste de notre organisme, au point de valoir à notre intestin le titre de deuxième cerveau.
Bien plus qu’un outil digestif
Cerveau et intestin communiquent. Un neurobiologiste de l’institut Pasteur, Gabriel Lepousez, a montré que l’intestin était doté, tout comme le cerveau bien qu’en quantité moindre, de cellules nerveuses. Il envoie des messages chimiques, et certains d’entre eux sont produits par le microbiote intestinal. Or, quand le microbiote est altéré, les messages le sont aussi. Autre conséquence de la dysbiose intestinale, des perturbations dans la production d’hormones comme celles en lien avec la sérotine, avec des conséquences diverses : dépression, perte de mémoire, trouble de l’apprentissage, perturbation du comportement alimentaire, dérèglement de l’humeur. Prendre soin de son deuxième cerveau, c’est donc aussi agir sur le premier !
Un rôle dans les maladies neurologiques
De fait, l’implication du microbiote est de plus en plus démontrée par la recherche pour les maladies neurodégénératives et neuropsychiatriques. Pour Joël Doré, le directeur de recherche à l’Inrae, AgroParisTech et Paris Saclay, « elle est prouvée pour certaines formes d’autisme, de dépression et la sclérose en plaques ». Cela ouvre des sérieuses pistes thérapeutiques.
La nature dope le microbiote !
Nos microbiotes se constituent au fil de nos contacts avec des microbes. Dans un environnement bétonné, goudronné, décapé aux détergents et autres produits antiseptiques, ils ont du mal à se renouveler. Une étude finlandaise suggère qu’un retour à la nature s’impose. Les chercheurs ont végétalisé des garderies d’enfants en ville (gravier recouvert de gazon, terre issue de forêts, blocs de tourbe à escalader, plantes) afin d’observer l’effet de cet environnement enrichi en micro-organismes. Après seulement 28 jours et 90 minutes quotidiennes à l’extérieur, la moitié des enfants avaient un microbiote cutané et intestinal renforcé et un système immunitaire moins inflammatoire. Bref, se rouler dans l’herbe et gratouiller dans la terre est bénéfique.
Source : Bonne Santé Mutualiste